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... J'ai oublié les fous rires, les coups de fil à bâton rompus, les lettres manuscrites, les repas de famille (certains) ou entre amis, les bières au comptoir, les coups de rouge et les petits blancs, le café au soleil, la sieste à l'ombre, manger des huîtres en bord de mer ou des cerises sur l'arbre, les coups de gueule pour rire, l'entretien d'une collection (de pierres, de papillons, de boîtes, que sais-je ?), la béatitude des fraîches soirées d'automne, les couchers de soleil, être éveillé la nuit quand tout le monde dort, chercher à se remémorer les paroles de chansons d'autrefois, la recherche d'odeurs ou de saveurs, lire en paix son journal, feuilleter des albums de photos, jouer avec son chat, construire une maison de fantaisie, mettre un beau couvert tirer négligemment sur une cigarette, tenir son journal, danser (ah ! danser !), sortir et faire la fête...
Françoise Héritier, Le Sel de la vie, Lettre à un ami, 2011 -
Moments exquis de pure jouissance de vie : écouter le vent dans les branches, lires quelques lignes de Mémoire d'une naine puis reposer le livre, rêvasser à mes travaux en cours, observer un lézard sur la pomme dans laquelle j'ai croqué hier soir, faire quelques plans vidéo de contemplation, attendre T. et C. qui vont revenir du marché avec plein de bonnes nourritures abondantes, prendre une douche fraiche au soleil, mettre une chemise propre, apaiser sa faim, tout est délice.Hervé Guibert, Le mausolée des amants, Journal 1976-1991
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Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.
André Gorz, Lettre à D., Histoire d'un amour, 2006 -
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »
Baudelaire, Le Spleen de Paris, Petits poèmes en prose, XXXIII, 1869 -
Je ne souhaite rien tant qu'une chose : revenir à la solitude, l'anonymat, l'indifférence au monde, retrouver l'irresponsabilité de l'enfance, les après-midi dans le jardin, les oiseaux, quand je rêvais d'aller dans les pays lointains, connaître le monde, qu'il m'arrive des choses. Tout cela m'est arrivé, et m'arrivera encore, peut-être, et pourtant je n'aime que retrouver ce temps où rien n'était arrivé. Non pour retrouver mon désir et mon rêve, mais ce que justement je n'aimais ni ne détestais, c'est-à-dire que qui était ma vie réelle : la campagne, les bruits lointains de voitures, d'une scie à bois, la voix de mon père, les cris des chiens, la sonnette de l'épicerie. Tout ce qui me fait revivre cela - Venise un dimanche matin, écrire, l'amour parfois, en 84 - est le bonheur.
Annie Ernaux, Juin 1988, Écrire la vie -
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Les plaisirs de la vie: Sélection #3
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