Pierre Schwartz, Aymeric Fouquez : L'obstination du paysage

2015-06-20
Présentation

Les Douches La Galerie a le plaisir de présenter « L’obstination du paysage », une exposition réunissant les séries « Nord » d’Aymeric Fouquez et « Buts » de Pierre Schwartz. Ces deux regards particuliers – l’un sur les cimetières militaires de la première guerre mondiale, l’autre sur les cages de football – documentent l’espace et les transformations qui s’opèrent autour de lui. Des photographies à voir et à revoir pour notre exposition d'été.

Œuvres
Vues de l'exposition
Communiqué de presse

Cohabiter

 Sur les séries Buts de Pierre Schwartz et Nord d’Aymeric Fouquez

 

« J’ai toujours associé les cimetières militaires à tout autre chose que leur fonction première et pensé qu’ils étaient des terrains de jeux particulièrement bien adaptés. » Aymeric Fouquez, que sa grand-mère emmenait régulièrement jouer à la fin des années 1970 au cimetière britannique voisin de Marquion, dans le Pas-de-Calais, se souvient en effet de « la grande qualité du gazon, toujours fraichement tondu qui dès les premières foulées (lui) donnait l’étoffe d’un grand footballeur (1) ». Le football n’est pourtant que le point commun le plus inattendu aux séries de photographies d’Aymeric Fouquez sur des cimetières militaires et de Pierre Schwartz sur des buts de football que réunit cette exposition.

L’une et l’autre de ces séries ont pour caractéristique d’être des travaux au long cours qui, par leur ampleur, relèvent de l’obsession. Pierre Schwartz a ainsi réalisé entre 1990 et 2008 plus de 1500 images de buts à travers le monde et Aymeric Fouquez photographié depuis 2004 plusieurs centaines de cimetières militaires dans le nord de la France et l’est de la Belgique. Incontestablement sériels, ces travaux ne partagent pas le même systématisme. Les photographies de Pierre Schwartz répondent à un protocole strict quand celles d’Aymeric Fouquez manifestent une grande variété de points de vue. Les buts sont photographiés frontalement, à une distance équivalente, qui s’apparente aux 11 mètres du point de penalty. Ils s’inscrivent rigoureusement au centre du format carré de l’image. Les cimetières, vus de loin ou de près, apparaissent en totalité dans le cadre de l’image ou seulement comme fragment. À la différence de Pierre Schwartz, dont la rigueur méthodologique n’interdit pas des ciels expressifs et des effets de contre-jour servis par son noir et blanc, Aymeric Fouquez s’attache à la lumière blanche hivernale qui ne dessine aucune ombre et neutralise les couleurs. Formellement très différents, quoi que puisant à la même source de l’objectivité photographique de Bernd et Hilla Becher, ces travaux sont de nature documentaire. Mais si l’on peut parler de typologie de buts dont la répétition systématique du même motif en souligne la diversité (de la cage réglementaire aux poteaux de fortune ou au filet peint sur un mur), le terme d’inventaire serait plus juste pour qualifier la démarche d’Aymeric Fouquez qui n’insiste pas sur les variations morphologiques pourtant bien réelles des cimetières.

Il semblerait pourtant que ces travaux portent moins sur des motifs que sur des espaces : le cimetière militaire clos de murs et le terrain de football délimité par les buts. Appartiennent-ils à cette catégorie fort à la mode des « hétérotopies » définie par Michel Foucault (2) ? Ils partagent en tout cas beaucoup des caractéristiques de ces « sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux ». Les cimetières, comme d’autres espaces sacrés, en relèvent. Ce n’est pas explicitement le cas des terrains de sport. Néanmoins, ce serait négliger que, selon Foucault qui prend alors pour exemple un théâtre ou un cinéma, « l'hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles ». Les terrains de foot amateur photographiés par Pierre Schwartz sont, en effet, des lieux propices à l’imaginaire des joueurs qui se projettent volontiers dans l’espace fantasmé du football professionnel (c’est particulièrement sensible dans cette photographie prise à Sarajevo en 2008, où se distinguent, à l’arrière-plan, les projecteurs d’un terrain qui accueille de toute évidence des matchs d’une catégorie supérieure). Ce sont aussi des lieux de communion qui, selon Pierre Schwartz, s’apparentent à « un espace sacré ». Cette sacralisation du terrain de foot fait écho au phénomène inverse de désacralisation des cimetières militaires qui, au dire d’Aymeric Fouquez, ont pu se transformer en espaces profanes de détente.

Mais ce qui intéresse surtout Aymeric Fouquez et Pierre Schwartz est de voir comment ces « espaces autres » interagissent avec les autres espaces qui les bordent. De fait, le motif du but s’efface. Par une mise en abîme de l’acte photographique du cadrage, il laisse la place à un cadre dans le cadre, à un outil de vision. Le terme est moins à entendre au sens propre qu’au figuré. Le but fait bien sûr penser au viseur du peintre, cet instrument utilisé, par exemple, par le paysagiste Neville dans Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway. Mais Pierre Schwartz ne l’utilise pas pour composer son paysage puisque ses compositions sont déterminées par un point de vue pré-défini. Le cadre du but intensifie la vision et concentre le regard sur le paysage dans lequel s’inscrit le terrain de football. Tel est aussi le rôle du cimetière militaire. Il permet à Aymeric Fouquez de comprendre ces paysages du Nord, plus précisément, d’analyser la réorganisation permanente des champs, de l’habitat et des transports autour de ces enclaves immuables. Les photographies de buts de Pierre Schwartz et celles de cimetières militaires d’Aymeric Fouquez sont ainsi des photographies de paysage dont l’objet est, en définitive, de mettre en lumière la cohabitation d’espaces de natures distinctes traversés d’intérêts bien souvent contradictoires.

 

Étienne Hatt

 

(1) Aymeric Fouquez, « Michel Platini », Nord, Kodoji Press, 2010.

(2) Michel Foucault, « Des espaces autres » (conférence donnée en 1967 et publiée en 1984 dans Architecture, mouvement, continuité, n°5), dans Dits et Écrits IV, Gallimard, 1994.