Philippe Séclier, Valpo
Les Douches la Galerie a le plaisir de présenter sa première exposition personnelle de Philippe Séclier, du 4 septembre au 30 octobre 2021. Véritable carnet de voyage, Valpo retrace ses explorations du port chilien, au fil des années et dans les pas de Sergio Larrain. Prises au cours de plusieurs voyages entre 1998 et 2000, les 40 photographies présentées sont de remarquables tirages d’époque.
Philippe Séclier, un auteur à part
Philippe Séclier est un homme à part. Il ne ressemble à personne. Il a su tailler son silex personnel, se construire un destin à nulle autre pareil. Grand enquêteur, bon cadreur, à fleur de peau lorsqu’il s’agit de sensibilité et de papier sensible, c’est avant tout un grand lecteur de récits de voyage. Les épopées utopiques, il les a lues avant de prendre la route, d’abord de port en port, puis sur les traces de ses mythologies modernes.
L’importance de la littérature
La vie de Philippe Séclier, journaliste, prend un tournant lors de sa rencontre, en 1999 au Salon du Livre, avec l’écrivain marseillais Jean-Claude Izzo. Ce dernier, qui vient de publier son roman « Les marins perdus », est touché par la série photographique que Séclier a entamée en faisant le tour des grands ports par lui les plus fantasmés, du Pirée à Valparaiso.
La magie de ces docks mythiques, saisie dans un style expressionniste, apparaît bientôt dans son premier ouvrage « Hotel Puerto », édité grâce au coup de pouce des écrivains voyageurs Jean Rolin, Alvaro Mutis, José Manuel Fajardo et Michel Le Bris qui lui offrent des textes, véritables incitations, sous les auspices de la poésie, à larguer les amarres.
Déjà, on ressent, dans un climat de départs, de lâcher prise, de bas-fond et de lumière tamisée, comme un brouillage entre réel et fiction, un décalage qui ne semble pas ressembler au journaliste et photographe français. Et pourtant… Littérature et photographie deviennent une passion, comme une curiosité obsessionnelle à aller voir ailleurs. Ailleurs, mais pas seul, en se plaçant volontairement dans les fortes traces d’artistes admirés.
À peine rentré de Valparaiso, Séclier découvre, à Paris, dans une exposition, les images habitées prises par Sergio Larrain, pointure de l’agence Magnum, à Londres et dans le fameux port chilien. Il n’a plus qu’une envie, y retourner, pister Larrain, le flairer, pénétrer son désir de cette cité aux mille escaliers, aux 200 bordels, ressentir ses émotions, s’y perdre et appréhender ses façons de la cadrer dans son objectif, d’y construire des compositions.
La magie de Valparaiso
Il reviendra quatre fois à Valparaiso, place forte de la photographie d’Amérique du Sud qui le charme, lui lance des sortilèges, l’attrape dans ses rets. Il y enquête si bien qu’il est l’un des rares humains à rencontrer Larrain qui, de peur de perdre son âme, s’est retiré du monde pour méditer dans les montagnes chiliennes. De là, il expédie à Paris des pamphlets écologistes aux rares confrères qu’il tient encore en dignité, tels Bernard Plossu ou Josef Koudelka …
Ébloui par Larrain, Séclier ne cherche pas à le copier, mais se sait inévitablement influencé. Son « Valparaiso », sorte de livre d’artiste et de carnet intime, l’accompagne. Il se laisse porter dans cette ville de passage, d’émigration, de partage, de mouvement, où le petit peuple, des funiculaires aux coupe-gorges, vit dehors « Je suis dans la peau du badaud dit-il. La littérature me porte, la poésie de Pablo Neruda, « L’espace d’un cillement » du Haïtien Jacques Stephen Alexis ».
Il n’a pas conscience, alors, que ce faisant, il inaugure une façon bien à lui d’appréhender le monde, il crée les fondements d’un protocole artistique personnel basé sur une confrontation entre lui-même, un auteur et un pays par ce dernier arpenté, sondé, exploré, regardé, scruté, sans exotisme, et quels qu’en soient le contexte, la culture, les codes. Il fait avec plaisir ce qu’il sait faire comme journaliste : enquêter, approfondir, contextualiser. Photographier, aussi, prendre des preuves des étapes de cette imprégnation. (...)
Le flux de conscience de Robert Frank
Une fois mis en marche, Séclier ne s’arrête plus. Humble un peu comme le sont les femmes qui se sous-estiment systématiquement, il n’a pourtant peur de rien en poursuivant sa route auprès du photographe culte Robert Frank. Il lui emboite le pas, avec en plus, cette fois, une caméra. Il ne se demande pas s’il est capable de relever le défi. Il fonce.
Quarante-deux ans plus tard, il retrouve les lieux et les personnages des images qui, à l’époque de Jack Kerouac, ont osé déconstruire le rêve américain des années 50. Le film « Un voyage américain. Sur les traces de Robert Frank » voit le jour.
À chaque fois, Philippe Séclier sort de l’œuvre elle-même pour s’intéresser, au-delà, à la peinture, au cinéma, à la littérature, à l’architecture du pays arpenté dont il revisite l’histoire politique et culturelle. Et son obstination artistique fait merveille en suscitant l’émotion et en faisant réfléchir.
« Ma passion pour la photographie m’a entraîné sur des territoires où jamais je n’aurais pensé m’aventurer. Elle m’a donné le moyen de publier, maintenant d’exposer » estime Philippe Séclier qui compte désormais dans ses mythologies personnelles, une autre conscience intellectuelle et artistique en la personne de l’architecte Tadao Ando, autodidacte comme lui. Sa quête photographique de cent vingt édifices imaginés par le bâtisseur nippon l’a emmené, cette fois principalement au Japon et à la publication, en 2021, d’un atlas.
Un défi fou relevé par l’élévation spirituelle que ces grands esprits, ces intelligences supérieures, ces consciences pleins d’antennes réceptives lui ont transmis. « Ils m’ont ouvert les yeux ils m’ont fait comprendre le monde dans lequel on vit » dit-il. Quelque chose d’eux, mais aussi de Xavier Barral, disparu, et de Raymond Depardon, avec lequel il collabore régulièrement, résonnera toujours en lui.